Intuitivement, on sait ce que c’est qu’un pauvre : c’est quelqu’un qui a du mal à vivre décemment, soit qu’il loge dans des conditions indignes, soit qu’il n’ait pas suffisamment à manger, soit qu’il n’ait pas de quoi se chauffer ou s’habiller. Les « Sans Domicile Fixe » sont des pauvres. Les personnes qui sont obligées de vivre dans des espaces insalubres, envahis par les rats et les cafards sont des pauvres. Les familles qui n’ont pas de quoi payer la cantine de leurs enfants à l’école font partie des pauvres. Les vieux qui font les poubelles pour trouver à manger sont des pauvres.
Mais où commence et s’arrête la pauvreté ? Pendant des années, des statisticiens ont essayé de traduire la réalité de la pauvreté dans des chiffres. Ça n’était pas seulement par plaisir intellectuel, mais aussi parce que c’était utile pour définir les minima sociaux, pour convaincre ceux qui gagnaient plus qu’ils n’avaient pas de raison de se plaindre et pour faire des comparaisons entre plusieurs états.
Après des années de recherches, de tergiversations et de palabres, ils se sont mis d’accord pour définir, dans chaque pays, un panier moyen de consommation nécessaire pour subsister décemment. En effet, comme les conditions et les habitudes de vie diffèrent d’un endroit à un autre, car on n’a pas les mêmes besoins en chauffage ni les mêmes habitudes alimentaires selon qu’on habite au Congo ou en Norvège, le minimum vital est défini diversement dans chaque territoire. La notion même de seuil de pauvreté, déterminée de façon différente dans chaque contrée, est donc déjà une approximation.
En France, on a étudié minutieusement, pendant plusieurs années, un panier de consommation nécessaire pour vivre sans manquer de rien, que ce soit au nord ou au sud, alors que les besoins de chauffage ou de transport ne sont pas les mêmes, que les ingrédients de base pour s’alimenter non plus, que les prix de l’immobilier sont variables suivant les villes et les régions et qu’en plus, à la campagne, on peut cultiver soi-même des fruits et légumes et les manger après, alors que ça n’est pas possible en ville. Néanmoins, par approximations successives, on est arrivé à un seuil de pauvreté statistiquement acceptable.
En le comparant aux revenus de la population française, on s’est aperçu que le seuil de pauvreté était aux alentours de la moitié du niveau de vie médian (c’est-à-dire du niveau en-dessous duquel 50% de la population gagne moins et au-dessus duquel, 50% de la population gagne plus). Et on a constaté que ce ratio était globalement stable dans le temps, à 1 ou 2% près, ce qui est normal puisque l’inflation s’exerce de la même façon pour tous.
Début juin 2025, d’après l’Observatoire des inégalités, le niveau de vie médian mensuel en France était de 2028 euros, ce qui correspond à peu de chose près au salaire moyen net des ouvriers à temps plein. Le seuil de pauvreté est, lui, estimé à 1014 euros. (source 👉)
Mais alors, qu’est-ce que c’est qu’un riche ? Toujours d’après l’Observatoire des Inégalités, début juin 2025, 5% des plus riches gagnent plus de 4416 euros, 1% des plus riches, 7512 euros, 0,1% des plus riches, 19500 euros et 0,01% des plus riches 70900 euros.
Pour François Hollande, notre ancien Président de la République et fossoyeur efficace du Parti Socialiste, on était riche à partir de 4000 euros par mois. Je présume que ce chiffre a été imaginé par un statisticien facétieux au cours d’un repas bien arrosé, en partant du principe que si être pauvre c’était gagner le revenu médian divisé par deux, alors être riche, c’était gagner le revenu médian multiplié par deux. C’est de la pensée magique.
Pour ma part, j’ai longtemps fait partie du 1% des français les plus riches, avec près de quatre fois le revenu médian, mais j’étais, dans les faits, bien plus proche, socialement, de quelqu’un au RSA que du 0,01% des français les plus riches qui, eux, avoisinent les 40 fois le revenu médian.
J’étais salarié, avec une traçabilité totale de mes émoluments du point de vue des impôts et une marge de manœuvre extrêmement faible pour leur optimisation fiscale. De plus, et je trouvais ça parfaitement normal, entre les charges sociales salariales et patronales et les impôts sur le revenu, mon salaire engendrait de l’ordre de cinq fois le SMIC reversés chaque mois à l’Etat et à la Sécurité Sociale.
Certes, j’avais le luxe de ne pas avoir à compter chaque sou dépensé, de pouvoir aller au restaurant quand j’en avais envie, de partir en vacances, parfois pour des destinations lointaines. Mais cela ne faisait pas de moi un nanti. J’atteignais simplement un niveau de vie auquel devraient accéder tous les salariés qui travaillent. Ça devrait être la norme. Si on travaille comme un bœuf pour juste survivre, ça s’appelle de l’esclavage. Même si on est censé, au moins en France, pouvoir être soigné en cas de maladie et pouvoir poursuivre son employeur en cas de mauvais traitements, ça reste de l’esclavage.
Sans basculer dans une civilisation de loisirs, à laquelle je ne serais cependant pas opposé mais on en est bien loin, il faut que chacun puisse profiter des joies de l’existence. Il ne s’agit pas d’aller chez Drouant tous les jours, mais de pouvoir se permettre d’y aller au moins une fois dans sa vie.
En ce qui concerne mon patrimoine, j’ai pu acheter un appartement dans lequel je vis aujourd’hui. Même si le prix du foncier a augmenté de façon indécente, ça me fait une belle jambe : je ne vais pas le vendre puisque j’habite dedans. Et de toute façon, l’augmentation potentielle de mon malheureux bien n’a rien à voir avec la croissance démesurée des 500 plus grandes fortunes qui, d’après les données du magazine « Challenge » reprises par l’Observatoire des inégalités, a été multipliée par 9,3 entre 2003 et 2023 (source 👉)
Alors, qu’est-ce qui fait que les plus riches s’enrichissent encore beaucoup plus vite ? Les revenus financiers, l’achat et l’attribution gratuite d’actions sont considérablement moins imposées que le travail. Et puis, lorsqu’on dispose d’un patrimoine considérable, il y a la possibilité d’optimiser fiscalement tout ou partie, grâce à des circuits complexes et avec l’appui de paradis fiscaux. On peut aussi prendre, de fait, le contrôle de grandes entreprises et veiller à ce qu’il y ait des délocalisations d’emploi pour engendrer un meilleur rendement.
Et si c’était ça, être riche : être en mesure de faire des optimisations fiscales massives et de délocaliser des emplois...
Il ne s’agit donc pas de gagner 4000 euros par mois, mais plutôt mille fois plus, 4000000 d’euros par mois. Mais lorsqu’on fait partie de ce tout petit cercle de privilégiés et qu’on a les moyens d’investir dans des moyens efficaces de propagande (télévisions, journaux, radios...), si on veut s’assurer de continuer à s’enrichir tranquillement, il suffit de convaincre la population que tous les maux viennent des plus pauvres qui pillent les ressources de l’Etat et que la résorption des inégalités doit s’arrêter à la surtaxation des personnes à peine mieux loties, à 4000 voire 10000 euros par mois.