En 2025, en France, si on demande à des passants, au hasard, dans la rue, de donner le nom du plus grand écrivain, il y a de fortes chances qu’on ait une écrasante majorité de personnes qui réponde «Victor Hugo».
C’est une institution à lui tout seul : il a écrit énormément de choses, ses romans se lisent avec plaisir et sont souvent envoûtants, son théâtre est riche, ses poèmes sont marquants, son influence littéraire et politique est majeure, sa vie elle-même, faite d’engagements et de combats, est exemplaire. Mais c’est aussi le cas de Lamartine, qui était certes moins progressiste, mais qui a su également marquer son temps à la fois sur le terrain littéraire et politique et qui a même, de fait, dirigé la France pendant quelques mois après la chute de Louis-Philippe. C’est aussi le cas d’Emile Zola dont l’œuvre est tout aussi magistrale et dont l’influence sur l’évolution sociale ou sur la lutte contre l’antisémitisme est majeure.
Et puis il y a aussi Flaubert, Stendhal, Balzac, Dumas, Maupassant... Et il n’y a pas que des auteurs du XIXème siècle ! Il y a Diderot, Voltaire, Rousseau, Molière, Racine, Corneille, La Fontaine, Villon... Ou plus récemment Proust ou Vian. Et puis, il ne faut pas se cantonner aux auteurs français : il faut également mettre en balance Victor Hugo et Dostoïevski, Tolstoï, Tchekov, Dickens, Goethe, Kafka...
Personnellement, mon écrivain favori, c’est Georges Simenon. Je ne suis pas un très grand amateur du commissaire Maigret dont les aventures sont néanmoins toujours attrayantes, mais j’ai toujours beaucoup de plaisir à lire ce qu’il appelait ses « romans durs » et ses nouvelles. Cet auteur particulièrement fécond arrive à retracer une atmosphère en quelques mots. C’est une écriture quasi-cinématographique où les décors soigneusement décrits s’accordent avec les sentiments de ses personnages. On plonge dans la vie du voisin qu’on ne connait pas mais qu’on découvre par petite touche, à chacune de ses lâchetés ou de ses faiblesses. On pénètre dans les cafés embrumés et défraichis comme il en existait des milliers quand j’étais enfant et qu’on trouve encore en Belgique ou dans le Nord de la France. On bascule dans un monde parallèle mais très proche du notre, plein de petites fatalités et où l’humanité, toujours présente, nous renvoie à nos propres expériences et nos propres turpitudes.
Peut-être est-ce parce que Simenon est un auteur plus récent que Victor Hugo et qu’il décrit des scènes qui me sont plus familières ? Peut-être est-ce parce que je suis sensible à la « belgitude » toujours présente dans sa façon de raconter une histoire ? Mais je suis plus touché par ce qu’il écrit.
Aujourd’hui, peu de gens lisent des livres. En ce qui concerne Victor Hugo, lorsqu’on interroge les gens dans la rue, il y a une petite chance pour que certains d’entre eux en aient lu au moins des extraits au collège. Mais il y en a peut-être un peu plus qui ont déjà lu un roman entier de Georges Simenon, ne serait-ce que grâce au succès -planétaire- de la série du commissaire Maigret. Alors pourquoi cette différence de traitement entre ces deux auteurs qui, à leur façon, sont tous les deux rentrés dans notre inconscient collectif ?
Et pourquoi un auteur est-il considéré comme plus important qu’un autre ? Qu’est-ce qui fait qu’un écrivain passe à la postérité ? Il faut que ses livres se vendent, bien sûr... Et si possible après sa mort car les artistes sont toujours plus grands une fois qu’ils ne sont plus. Mais il faut aussi qu’ils soient reconnus -à titre posthume- par un large lectorat lettré qui, collectivement, définit à un instant donné qui est représentatif d’une époque ou d’un courant de pensée.
Beaucoup de mes amis et connaissances ont écrit des livres. Qui de Leonel Houssam, Marc-Louis Questin, Tristan Ranx ou Thierry Théolier, pour ne citer qu’eux -et par ordre alphabétique pour ne froisser aucun ego- est susceptible de passer à la postérité ? Et sur quels critères ? La culture, ça n'est qu´un simple consensus à un moment donné.