Dans un monde de plus en plus incertain et anxiogène, il est urgent de recommencer à faire la fête, quitte à la réinventer en s’inspirant des époques passées où l’on savait partager du bonheur. Par Arnaud-Louis Chevallier
Dans les années 1980, j’ai co-organisé des concerts sous le label Rock in Loft, puis j’ai participé furtivement à la conception des Nuits d’Actuel au Rex avant d’ouvrir ma première discothèque, les 120 Nuits, dans la salle du Globo qui était alors le deuxième plus grand espace de nuit de Paris, au 8 boulevard de Strasbourg. Il vient de fermer.
A l’époque, il était déjà difficile de faire venir du monde. Le Palace avait réussi à créer une vraie belle clientèle, à son ouverture, début 1978, en s’appuyant sur les réseaux gays, autour d’une programmation disco et funk. Mais son public s’était considérablement effrité au fil du temps, à tel point que quelques jours avant que j’ouvre ma boite, le lieu faisait une première faillite et fermait pour presque un an, à partir de l’été 1983, juste après la mort de Fabrice Emaer, son créateur.
Dans la foulée du Palace, d’autres discothèques avaient ouvert en proposant des programmations alternatives. C’est ainsi que les Bains-Douches, dirigés par Fabrice Coat et Jacques Renault, proposaient à partir de décembre 1978, de la musique exclusivement new wave et cold wave, avant de se convertir en temple de la salsa après une première fermeture administrative en 1982. A la même époque, le Rose-Bonbon, sous l’Olympia, ouvrait en 1981, avec une musique et des concerts délibérément rocks, avant de fermer en 1982.
La durée de vie des discothèques était courte, dans la capitale, car la clientèle de nuit se renouvelait sans cesse, se lassait vite des endroits souvent très sélectifs et le prix du foncier, déjà très élevé, ne permettant souvent pas de proposer des prix suffisamment bas. De ce point de vue, les choses n’ont pas beaucoup changé.
Les temps étaient durs, mais ils sont devenus encore pire ! Outre la coloration musicale de la plupart des boites actuelles que je trouve personnellement insupportable car je n’aime ni le rap, ni la techno, ni le métal, je constate que malgré une programmation censée plaire à un public de « djeuns », elles ferment toutes les unes après les autres.
Je me suis donc laissé aller à réfléchir la discothèque que je serais prêt à ouvrir, aujourd’hui, au milieu des années 2020. C’est un exercice un peu vain car, dans la réalité, on part d’un lieu pour définir ce qu’on va y faire, car c’est en fonction d’abord de son emplacement, puis de sa capacité et ensuite de sa configuration et enfin de son coût qu’on détermine le « produit », en termes marketing, qu’on peut y proposer.
Je pose donc comme hypothèse que nous ayons trouvé, à un prix raisonnable, un lieu central, d’une capacité d’au moins 300 personnes, insonorisé, aux normes pour la réception du public, avec une scène et un bar un peu à l’écart, muni d’une licence IV, l’ensemble bénéficiant d’une tolérance d’ouverture de nuit, et que la moitié du loyer soit déjà payée par la location de l’espace pour des concerts filmés pour la télévision, au moins trois fois par semaine, de 19h à 21h30. Ça fait donc, déjà, plus d’une dizaine de conditions préalables absolument nécessaires... Mais admettons qu’on ait tout ça et rêvons un peu.
La première chose à faire serait de se démarquer des bars et des autres établissements de nuit. De toute façon, je considère qu’une discothèque est un média, que c’est un outil quasi-politique, d’une grande efficacité, pour faire évoluer les choses et même changer les mentalités...
Pour moi, l’époque est trop pudibonde, trop hygiéniste, trop conformiste : mon lieu est là pour montrer qu’une autre voie est possible, tout en restant dans les limites de la loi car j’ai toujours été très légaliste.
L’idée est donc de faire un lieu attractif, qui fait rêver, au point que les gens qui viennent s’attendent à y vivre quelque chose d’extraordinaire. Et que même si ça n’arrive pas à chaque fois, les fois où ça se passe justifient toutes les fois où ils sont venus et où il ne s’est rien passé.
L’extraordinaire ne vient pas du lieu ni de la musique. Il vient des rencontres. Il faut du mélange, des personnes qui viennent d’horizons différents et qui soient suffisamment débridées pour aller au bout de leurs envies et de leurs désirs. Ça commence, évidemment par l’équipe qui y travaille. Il doit y avoir des jeunes filles sensuelles et un peu folles. Il faut qu’elles soient délicieuses et très exhibitionnistes, comme un régal pour les yeux. Mais l’anormalité doit être partagée. Dans mes pérégrinations nocturnes, j’ai croisé des hommes dont le fantasme était de servir de domestique dans une soirée chic, entièrement nus. Ils seraient les bienvenus comme maîtres d’hôtel ou ramasseurs de verres.
Dans les soirées fétichistes que j’ai fréquentées au début des années 2000, il y avait un soumis, toujours casqué et auto-enchainé : personne ne connaissait son visage. S’il y avait un ou deux clients comme lui, ce serait de nature à amener un peu d’étrangeté. De même, j’avais été impressionné par un couple homosexuel dont le maître, habillé en scout, tenait en laisse son compagnon vêtu en CRS, à quatre pattes. Ils seraient aussi légitimement invités à bras ouverts chez moi.
Mais il ne faut pas que la soirée vire au club BDSM, parce que s’il n’y a que ça, ça devient rapidement un ghetto et ça peut être sinistre : il faut qu’il y ait de tout, pour avoir un vrai mélange, avec des bikers, des majorettes, des filles kawaii délirantes, des personnes en uniforme, de vieux élégants, de jeunes et jolies nymphomanes hystériques et même des couples romantiques.
Lors des soirées « La Régence » que Cyrille Gordigiani et moi avions organisées à l’Opéra-Night en 1985 et 1986, nous avions exhorté notre public à venir habillé en marquise Louis XV ou en comte à perruque poudrée et, à notre grand étonnement, un tiers de la clientèle avait joué le jeu. Il faut dire que les personnes les mieux habillées étaient dispensées de payer l’entrée. Le principe reste toujours d’actualité. On pourrait simplement changer la cible vestimentaire en proposant aux femmes et aux hommes de se vêtir comme à la fin des années 1960, en leur proposant de réécrire le monde à partir de cette époque où nos civilisations, tout autour de la Terre, se sont emballées et ont dérapé. On aurait alors la chance de remonter le temps et de croiser des beatniks psychédéliques, des guérilleros africains ou sud-américains, des nostalgiques de la Russie soviétique, des chinois brandissant le petit livre rouge...
Et pour accompagner musicalement cette faille spatio-temporelle, je propose de remettre au gout du jour, des titres de ce qu’on appelait à l’époque le rock psychédélique et qu’on a rebaptisé depuis le rock garage des années 1960. En voici quelques titres, que je vous propose, pêle-mêle, pour une découverte à l'aveugle :
1°) https://youtu.be/uqfFA25JcS0?si=wmhQ2ATwDd27n3_D
2°) https://youtu.be/cuq25MV4ZT4?si=4fK8SAtx2Id0_SHB
3°) https://youtu.be/dBkiPtOm1V0?si=T55Eg2rkj2B5h-fb
4°) https://youtu.be/Lj-Tlmbw47Q?si=tEYzEe4dCYI1WJa9
5°) https://youtu.be/hbCUbkIOGi4?si=URUBCEPW45ANZf1f
6°) https://youtu.be/J25EfjxmMYA?si=gDT8i93UAhWU6WEH
7°) https://youtu.be/_f6IAeLaLo0?si=1wjDIpUHyZuHfVk7
8°) https://youtu.be/yaWncH08PTo?si=Wxl_l6U0EA9dtLzk
9°) https://youtu.be/kA4j8n9RKbQ?si=07Hoyh5mkRCM1PEb
10°) https://youtu.be/GY6qE4zDuqk?si=3MSmy7z6g1fitZ44
Bien entendu, il faut aussi qu’il y ait des titres et des groupes actuels, mais une préférence serait accordée à ceux qui se situent dans cette lignée, comme The Molotovs, Viagra Boys, New Candys, Messer Chups, Fontaines DC, The Beaches, Wet Leg, Stereopony, Die Spitz ou Wolf Alice... Voici quelques titres qui pourraient ainsi être également proposés :
11°) https://youtu.be/Dmz6Z04JdGA
12°) https://youtu.be/U7gbFMWZWlo
13°) https://youtu.be/3BCG7umabDc
14°) https://youtu.be/8Cn_5XimO2I
15°) https://youtu.be/NtEFQLB7Vds
16°) https://youtu.be/h2kUX_Fmj7k
17°) https://youtu.be/Zd9jeJk2UHQ
18°) https://youtu.be/vYV-XJdzupY
(Photos: Bruno Cordonnier)
J’imagine l’espace entouré de murs blancs sur lesquels on pourrait projeter des images rappelant, au gré de la musique, un paysage champêtre, la Factory du temps du Velvet Underground, le festival de Woodstock, le club 54 à ses débuts, une réunion informelle du mouvement conceptualiste moscovite ou encore le fort El Morro de La Havane.
Il pourrait également y avoir des interventions artistiques sous forme de « performances », à la condition qu’elles soient de courte durée, denses, et qu’elles aient du sens.
Et surtout, j’imagine une clientèle bigarrée, avec une seule quête : le bonheur, le plaisir et le sexe.
Ça vous tente ?