Depuis plusieurs décennies maintenant, je fréquente assidument les vernissages, c’est-à-dire les évènements liés à l’ouverture des expositions que ce soit dans les galeries d’art, les pop-up ou les musées. C’est généralement plutôt festif, avec des choses à boire et à manger et des gens avec qui il est agréable d’échanger sur la qualité des œuvres exposées autant que sur celle des boissons proposées.
(photo: Daniel Longuet)
J’y vais, bien entendu, parce que je m’intéresse à l’art, que ce soit la peinture, la sculpture ou la photographie. Mais au départ, directeur de boite de nuit, j’y allais avant tout pour repérer des jolies jeunes filles ou des personnages extravagants à inviter dans mon club, tel une sorte de sculpteur de public. Sachant que le taux de retour était de l’ordre de 20%, il me fallait, avec mon équipe, distribuer au moins cinq cent invitations par soir. Généralement, on dépassait plutôt le millier.
Avec mon lot de sésames pour la nuit en poche, j’étais accueilli à bras ouvert à peu près partout. L’époque était de toute façon à la tolérance et à l’ouverture d’esprit. Depuis, les mentalités se sont globalement refermées et on assiste de plus en plus à des évènements pour lesquels il faut montrer patte blanche à l’entrée, auprès d’attachées de presse très jolies mais parfois malhabiles, ou de videurs un peu rustres. Ayant supervisé l’entrée de boites de nuit pendant des années, je connais les codes et rentre généralement sans difficulté.
Mais je constate qu’une petite partie de galeristes est désormais allergique à ce qu’elle appelle péjorativement « les squatteurs » ou « les pique-assiettes ». C’est aussi absurde qu’un dentiste qui serait allergique au bruit de la roulette, car quel que soit le lieu où on expose des œuvres d’art, les non-acheteurs sont infiniment plus nombreux que les acheteurs. De plus, de même qu’il est impossible de vendre le moindre verre dans une discothèque vide, il est chimérique de vouloir vendre des toiles lors d’un vernissage où il n’y a personne. On imagine le pauvre acheteur poursuivi d’un regard inquisiteur par le responsable de la galerie ou par l’artiste alors qu’il déambule devant ce qui est exposé : c’est totalement inhibant.
De toute façon, dans la foule qui fréquente les vernissages, rares sont celles et ceux qui ne viennent que pour boire ou manger. Il y en a, certes, mais c’est une infime minorité, et ils peuvent de toute façon, apporter à la galerie, un complément appréciable d’ambiance, d’élégance ou de visibilité.
Mais la plus grande partie des gens qui viennent, le font pour une raison liée au travail. C’était mon cas lorsque je distribuais des invitations. C’est le cas des journalistes, des photographes de presse, des relations publiques, des mannequins et créateurs de mode qui viennent montrer les vêtements qu’ils portent, des étudiants et des étudiantes en art, des artistes qui cherchent à exposer, des confrères galeristes qui viennent s’inspirer de ce qui se fait ailleurs...
A côté de ceux qui viennent boire et de ceux qui travaillent, l’autre grande catégorie des visiteurs de vernissages est constituée de personnes qui sont là pour développer leur vie sociale : ce sont les amis des exposants, les amis du galeriste, les amateurs d’art qui aiment discuter avec les artistes ou encore les séducteurs professionnels attirés par les étudiantes en art...
Enfin, il y a les collectionneurs, mais ils représentent une infime partie du public car ceux qui sont prêts à dépenser plus de 5000 euros par an en achat d’œuvres d’art doivent jouir d’une fortune personnelle ou gagner au moins 100 000 euros bruts par an, c’est-à-dire faire partie du 1% des salariés les mieux rémunérés en France. De plus, s’ils achètent pour en faire un business, ça veut dire qu’ils rentrent dans la catégorie des gens qui viennent pour le travail...
Pour ma part, une fois que j’ai arrêté de travailler la nuit, j’ai continué à fréquenter les vernissages pour entretenir un lien social avec le milieu artistique. Et au bout de plusieurs années, j’ai été sollicité pour faire part de ma vision de ce qui était exposé. C’est ainsi que j’écris régulièrement maintenant des chroniques sur https://nudeoexpo.art/la-chronique-d-arnaud-louis-chevallier/
Je n’ai aucune légitimité pour critiquer une œuvre. Je pense d’ailleurs que personne n’a de légitimité pour cela. Je ne parle donc que de ce qui me plait, et explique pourquoi en y associant mes propres souvenirs ou fragments de vie, car on ne reçoit une œuvre qu’au travers de sa propre esthétique, elle-même influencée par son vécu.
Et puis, de temps en temps, mais très rarement, car bien que vivant de façon plutôt aisée, mes moyens restent limités et que je suis loin d’être un collectionneur, j’achète une œuvre.
(Photo: Le Moel)